La nourriture en purée est-elle le bon choix ?

Dysphagia Café a publié le 10 juin 2021 un article du blog d'Angela Van Sickle et du co-auteur Ed Bice. Ce texte traite de la dysphagie, de la démence et de l'alimentation.

 

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Lorsque l'on se promène dans la salle à manger d'un établissement de soins pendant l'heure du repas, il est fréquent de voir un grand nombre de résidents atteints de démence manger des aliments en purée et boire des liquides épaissis. Cela peut être la conséquence de problèmes de déglutition avérés, la dysphagie étant un problème fréquent dans cette tranche de population. Les problèmes de déglutition rapportés dans ce groupe comprennent un temps de transport oral prolongé pour la déglutition de consistances solides, un retard de déclenchement de la phase pharyngée pour les liquides (Priefer & Robbins, 1997), une réduction de l’ascension et projection antérieure du larynx (Humbert et al., 2010). Les personnes atteintes de démence présentent également des difficultés à mastiquer et à former le bolus. Les aspirations, y compris les aspirations silencieuses, sont également courantes (Suh, Kim, & Na, 2009). 

Groher et McKaig (1995) ont étudié les habitudes alimentaires des résidents de deux établissements de soins spécialisés. Ils ont rapporté que 28% (212 sur 740) de tous les résidents bénéficiait d’une texture adaptée, dont environ 53% (112 des 212) avait un diagnostic de démence. 58% (65 sur 112) des résidents atteints de démence recevaient un régime en purée et 18% (environ 21 sur 112) étaient au bénéfice d’une alimentation par sonde. Plus récemment, deux autres études ont révélé que 8% à 67% des personnes en institution avaient des adaptations pour les textures et les liquides, et dans une autre étude, 43% des personnes atteintes de démence étaient nourries avec des régimes modifiés (Painter, Le Couteur, & Waite, 2017). Ces données montrent que les adaptations alimentaires sont une pratique courante dans le traitement des patients diagnostiqués comme étant atteints de démence


Les États-Unis comptent environ 15 600 maisons de retraite (Center for Disease Control and Prevention, 2020) et plus de la moitié des personnes vivant dans des établissements de soins souffrent de démence (Hoffmann, Kaduszkiewicz, Glaeske, Bussche, & Koller, 2014). La simple évocation de ces chiffres est affolante. Environ 45% des personnes atteintes de démence et vivant dans des institutions de soins souffrent également de dysphagie (Easterling & Robbins, 2008).

Ces chiffres, ainsi que les données de Groher et McKaig (1995), indiquent que de nombreux résidents des établissements de soins spécialisés atteints de démence et dysphagiques reçoivent une texture modifiée, même s'il n'existe aucune évidence que cette intervention améliore la situation. 

Évaluation et réévaluation

Dans l'étude de Groher et McKaig (1995), la période pendant laquelle les résidents avaient reçu un régime modifié s'étendait de 2 mois à 12,6 ans, avec une moyenne de 3,4 ans. Le temps écoulé depuis un examen de la déglutition était en moyenne de 3,9 ans. Cela indique que de nombreux patients atteints de démence sont passés à un régime modifié et n'ont jamais été réévalués par la suite ou n'ont jamais eu l'occasion d'optimiser leur situation.

Comme il n'existe pas de méthode établie pour la prescription d’une alimentation modifiée, il y a une grande variabilité dans la manière dont ces décisions sont prises. Un résultat important de l'étude de Groher et McKaig (1995) était que 91% (192 sur 212) des participants étaient capables de consommer un régime dont la texture était davantage solide et complexe (donc pas en purée !) et/ou des liquides moins épaissis sans mettre en danger les voies respiratoires, tout en maintenant un statut nutritionnel et d'hydratation adéquat. Si l'on généralise ces informations, on peut supposer que la plupart des recommandations alimentaires sont trop restrictives. Bien que les auteurs n'aient pas fourni d'informations spécifiques pour les personnes atteintes de démence, le nombre total de résidents recevant un régime en purée a diminué de 50% à 25% après l'évaluation.

 

L'évaluation des effets des ajustements diététiques ou des changements de posture nécessite une imagerie. Sans imagerie, l'effet réel d'une intervention est inconnu. Dans une étude, 49% des patients atteints de démence présentaient des fausses-routes avec des liquides clairs, même en utilisant la stratégie de flexion antérieure, idem avec des liquides en consistance nectar et/ou miel liquide (Logemann et al., 2008). Dans une autre étude, environ 11% (20 sur 180) des participants toussait avec des liquides clairs et ont ensuite aspiré silencieusement (!!!) avec des liquides épaissis (Miles, McFarlane, Scott & Hunting, 2018). Ces exemples illustrent l'importance des évaluations instrumentales de la déglutition pour évaluer l'efficacité des mesures compensatoires et d’adaptation. Si le patient tousse avec des liquides clairs pendant une évaluation clinique de la déglutition et ne tousse pas avec des liquides épaissis, la conclusion pourrait être que les liquides épaissis sont utiles pour réduire l'aspiration. Miles et al. (2018) montrent que ce n'est peut-être pas le cas. Cependant dans la pratique, certaines décisions concernant les personnes atteintes de démence sont régulièrement prises sur la seule base d’un examen clinique.  

Stratégies de traitement pour les personnes atteintes de dysphagie et de démence

Une grande partie de la littérature liée aux interventions sur les troubles de la déglutition chez les personnes atteintes de démence se concentre sur l'amélioration du déclenchement du réflexe de la déglutition, la modification de l'environnement, la formation du personnel soignant et/ou l'adaptation du régime alimentaire (Brush & Calkins, 2008 ; Groher & Crary, 2016). Les stratégies d'intervention les plus courantes pour les personnes atteintes de démence et de dysphagie manquent d’évidence scientifique et comprennent des modifications du régime alimentaire, des changements de posture, la pose de sonde, l’aide à la prise des médicaments ou l’aide aux repas (Abdelhamid et al., 2016 ; Alagiakrishnan et al., 2013). 


L'utilisation de stratégies de réadaptation chez les personnes atteintes de démence n'est pas répandue dans la littérature. Ciro, Dao, Anderson, Robinson, Hamilton et Hershey (2014) ont montré des améliorations dans l'exécution des tâches de la vie quotidienne chez des personnes atteintes de démence légère à modérée grâce à des exercices en motricité et à un entraînement spécifique aux tâches. Leurs études offrent une possibilité d'apprentissage moteur pour les personnes atteintes de démence. Malandraki, Johnson et Robbins (2016) ont montré une amélioration de certains aspects de la fonction de déglutition chez des adultes atteints de maladies neurologiques grâce à l’application des principes de la plasticité neuronale. Bien qu'aucun des participants n'ait reçu de diagnostic de démence, il est possible qu'à l'avenir, la combinaison des principes de plasticité neuronale avec des stratégies de rééducation améliore la fonction de déglutition chez les personnes atteintes de démence et de dysphagie. Bice et Galek (2016) ont montré des améliorations de la déglutition chez un patient atteint de démence après un protocole de traitement combinant les principes de l'apprentissage moteur et de la plasticité neuronale : répétition fréquente des tâches, utilisation de tâches fréquentes et pertinentes pour la vie quotidienne, et intensité élevée du traitement.

 

L'efficacité des stratégies de déglutition est discutable. La plupart des stratégies compensatoires exigent que le patient se souvienne de la stratégie et l'applique systématiquement. En revanche, la modification du régime alimentaire, qui est courante dans la littérature, ne nécessite pas de mémoire. Un régime modifié peut être diminué en consistance sans évaluation de la fonction de déglutition. Cela peut sembler être une solution simple ou rapide et attrayante pour les soignants. Cependant, cette intervention peut entraîner des problèmes de malnutrition et de déshydratation, comme l'ont montré diverses études (Cichero, 2013 ; Lavizzo-Mourey, 1988 ; O'Keeffe, 2018 ; Vigano, 2011 ; Wright, Cotter, Hickson, & Frost, 2005). 

Faire des progrès

Bien qu'il reste encore beaucoup à faire pour comprendre et améliorer la dysphagie chez les patients atteints de démence, une réévaluation régulière de la fonction de déglutition pourrait être la première étape. Si une intervention est nécessaire, des approches rééducatives devraient être envisagées, même en présence d'une démence. Les physiothérapeutes rééduquent les patients atteints de démence lorsqu'ils présentent des problèmes pour marcher. Les ergothérapeutes réhabilitent les patients atteints de démence lorsqu'ils présentent des difficultés dans leurs activités de la vie quotidienne (Ciro et al., 2014). Logopédistes devraient également envisager en premier lieu une rééducation et ne pas se contenter de prescrire un régime en purée.

L’amélioration des capacités de déglutition a des effets positifs sur l’alimentation et peut réduire le risque d’autres complications, telles que infections des voies urinaires et les escarres. Elle peut en outre sensiblement améliorer la qualité de vie chez des patients qui auront davantage de plaisir à diversifier leur alimentation et participer davantage aux repas et aux activités. Chaque personne mérite cette chance.